Ci-gît, sur mon lit, un homme nu. Je m’en vais doucement quérir une feuille et un crayon, puis je m’assois au bord du lit. Je m’apprête à saisir ses courbes avec mes mots. Il peut sembler étrange de parler de courbes pour un homme. Souvent, par opposition à la femme, on les dessine de traits droits et épais. Pourtant même les muscles sont courbés.
Je promène mon regard, d’abord vers le sien, qui m’est fermé. Ce sont bien des paupières ovales qui me protègent de son éveil. Ni losanges, ni rectangles n’obstruent des pupilles qui n’en sont pas moins rondes. Si sa mâchoire est carrée, ce n’est que pour mieux encadrer ses lèvres bombées. Et cette bouche rebondie, puisqu’elle abrite une langue, qui n’est ni fourchue, ni pointue, pourquoi oublierait-on d’en vanter les
mérites ? Je crois pouvoir affirmer que l’on voit mieux les hommes quand ils sont nus et endormis. Cet homme étendu sur mon lit a des rectangles dessinés sur le ventre, et des boucles qui retombent sur son visage. Son cou est droit, et sa pomme d’Adam apparente. Il y a de jolies courbes sur ses longs mollets. Et même si, endormi il ne sourit pas, je devine encore l’emplacement de sa fossette. Il a des mains grandes pour tenir un sein, ou du moins un des mien. Mais faites lui porter des épaulettes et autres déguisements, que ses épaules resteront rondes. Donnez-lui un haut de forme, qu’il ne sera pas plus grand, ni rectangulaire. Empêchez-le de pleurer, mais vous n’arriverez jamais à rendre ses larmes carrées. On peut condamner les larmes des hommes, mais pas changer leur forme. Quant à sa plus grande fierté, voyez comme elle pend mollement quand il est endormi ! Et puis n’est-ce pas culotté de tout lui décerner alors que ses voisines toute rondes font la moitié du travail et ne s’arrêtent pas la nuit ?
Tout-de-même, quel gâchis, ces courbes masculines que l’on nie. Si les hommes sont des ronds dans des carrés, ne croyez-vous pas qu’il est plus confortable que leurs coins s’arrondissent pour y loger nos formes ? Et c’est peut-être ce qu’ils font, quand on ferme les yeux. Et puis les femmes, dont les formes ne cessent de fasciner, n’ont pourtant pas que des cils courbés par la
mascara mais aussi des poils tout droits, des tétons qui pointent et des doigts fins qui ne servent pas qu’au plaisir des autres.
Quoiqu’on en dise, le cœur de chacun, hommes et femmes confondus, demeure courbe et tordu. Et les veines et les artères, quand on les regarde de loin, semblent être des lignes. Mais il ne faut pas s’y méprendre, ce sont des cylindres. Et puis que vous dire de plus ? J’ai pourtant bien regardé, les hommes n’ont pas les fesses carrées.
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